GUANTANAMO, REGI PAR L’ARBITRAIRE ?
Mesdames,
messieurs, connaissez-vous un endroit symbolisant toutes les dérives de la
« guerre contre le terrorisme » ? Cette fameuse guerre lancée
par le président Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001 !
Avez-vous déjà
entendu parler de Guantanamo Bay ? Vous savez, cette base militaire
américaine implantée à Cuba, qui a pour devise « défendre la liberté est
notre honneur ».
Certainement que
vous en avez entendu parler, puisque cela fait plus de 4 ans que des
prisonniers y sont enfermés pour une durée indéterminée et sans aucun jugement.
Rappelons
qu’à Guantanamo il y a quelques 400 « terroristes », qui ont été
arrêtés en Afghanistan et en Irak, souvent moyennant finances… Ces prisonniers
sont aussi le résultat de la politique de « restitutions »
pratiquée par les Etats-Unis. C’est une pratique qui permet le transfert de
personnes d’un pays à un autre, en contournant toute, je dis bien toute
procédure judiciaire et administrative.
Dick
Cheney, vice président des Etats-Unis, justifie ainsi leur emprisonnement à
Guantanamo : « Ils représentent le pire d’un lot déjà très
mauvais ».
Pourtant,
la plupart ne sont que des victimes d’un système arbitraire d’arrestations.
Finalement, des « pauvres types » qui se trouvaient au mauvais
endroit, au mauvais moment !
Et même, si
certains prisonniers sont effectivement des terroristes, est-ce que cela
autorise des tortures ? des mauvais traitements ? l’absence de statut
juridique ? l’absence de réelle procédure judiciaire ?
Il
ne s’agit pas pour moi de plaider la cause de tel ou tel prisonnier mais de
dénoncer des conditions de détention inacceptables !
D’ailleurs, les
Etats-Unis eux-mêmes reconnaissent que Guantanamo n’est pas une simple prison
mais bien un centre d’interrogatoires. Le but est d’extorquer des informations
pouvant prévenir de nouvelles attaques terroristes. La volonté du gouvernement
américain d’éradiquer le terrorisme est bien sûr tout à fait louable, mais pas
à n’importe quel prix, pas au prix de la torture !
Il
existe une unité spécialement formée en Arizona, chargée des
interrogatoires : les Tiger Teams. Leur devise est : « Un tigre
ne dort jamais ». Vous imaginez donc des interrogatoires interminables,
répétitifs. Des pressions morales. Des privations de sommeil. De la musique
violente, une lumière aveuglante. Tout cela pendant des heures et des heures.
Voici, mesdames, messieurs, certaines des techniques pratiquées à Guantanamo.
C’est pourquoi, Wells Dixon, avocat de certains prisonniers, déclare :
« On les bat, on les écrase, on les avilit. Tels des sous-hommes. Kafka ne
pouvait imaginer pire. »
Ces actes de
torture, non seulement dénoncés par les détenus et les avocats, ont surtout été
constatés par des observateurs de l’ONU, qui ont rendu un rapport accablant en
février 2006.
Faisant
fi de ce rapport, la torture à Guantanamo vient d’être légalisée, 7 mois plus
tard, par le Military Commission Act du 28 septembre 2006 ! Incroyable,
non ?! Au nom de la lutte antiterroriste, une démocratie est en train de
légaliser des pratiques contraires à la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme !
Imaginez,
un seul instant, la détresse d’un prisonnier qui ne connaît ni les motifs
précis de son emprisonnement, ni la durée de sa détention !
Ce qui est ressenti
par les détenus, c’est qu’à Guantanamo « on n’a pas le droit d’avoir de
droit ». Cette phrase est celle employée par Nizar Sassi, ancien détenu
français.
Et
pourquoi le droit ne s’appliquerait-il pas à Guantanamo ?
Tout
d’abord, pourquoi les Conventions de Genève ne s’appliqueraient-elles pas pour
les prisonniers issus des conflits militaires en Afghanistan et en Irak ?
Les Talibans, qui sont des combattants de forces armées, relèvent forcément des
dispositions des Conventions de Genève.
Pour
les autres prisonniers, par exemple, supposés membres d’Al Qaida, l’article 5
de la 3ème Convention de Genève prévoit qu’ils tombent sous la
protection de cette Convention en attendant que leur statut soit clairement
déterminé par un tribunal compétent.
Mais,
que constate-t-on aujourd’hui ? D’abord, la non application des
Conventions de Genève. Bien pire, le gouvernement américain a inventé un
nouveau statut, spécifique pour les supposés terroristes. On a créé la
catégorie des « combattants ennemis » : une nouvelle catégorie
de personnes totalement dénuées de droits. Et c’est le président des Etats-Unis
lui-même qui, par son seul libre-arbitre, décrète que telle ou telle personne
est un « combattant ennemi ».
Et
tout ceci a été inventé à l’encontre de la Constitution américaine ! Je
vous rappelle qu’elle prévoit que toute personne qui n’a pas le statut de
prisonnier de guerre, garde celui de personne civile. Est-ce que la lutte
contre le terrorisme peut vraiment autoriser de telles entraves ?
Depuis
plusieurs années s’engage un rapport de force entre les politiques d’un côté,
qui veulent des dispositions spéciales pour les terroristes, et de l’autre
côté, les représentants de la justice, prônant l’application des textes
existants.
A
titre d’exemple, je voudrais vous rappeler que de nombreuses procédures ont été
engagées par des avocats de certains détenus. Ces procédures ont amené la Cour Suprême
, en juin
2004, a
rendre un arrêt qui précise que les prisonniers de Guantanamo peuvent
introduire des recours devant les tribunaux civils américains pour contester
leur détention, et non pas devant des commissions militaires spéciales. Mais
les politiques sont revenus à l’assaut ! La reconnaissance d’un droit pour
les prisonniers consacré par la
Cour Suprême
risque d’être balayée par la loi antiterroriste
signée par George Bush le 17 octobre 2006, qui suspendrait l’habeas corpus pour
les étrangers.
Aujourd’hui, on
constate toujours que les présumés « terroristes » n’ont pas droit à
un jugement équitable, n’ont pas droit à la présomption d’innocence, n’ont pas
droit au recours à l’avocat de leur choix, n’ont pas non plus droit à l’accès
aux pièces à charge.
Parce que nous ne
pouvons pas sacrifier nos droits les plus élémentaires au nom de la lutte
antiterroriste,
parce que les
démocraties ne peuvent pas bafouer les déclarations universelles dont elles
sont elles-mêmes à l’origine,
mais aussi parce
que chaque pays garde le droit et le devoir de poursuivre en justice toute
personne soupçonnée de terrorisme,
j’implore les 400
avocats de ce qu’on appelle le « barreau de Guantanamo » de continuer
leur lutte !
Je demande que
l’arbitraire cesse à Guantanamo.
Je demande que chaque prisonnier ait droit à un
procès équitable.